France vs Québec : deux visions de la santé mentale
- Le journal
- il y a 2 jours
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Bonjour et bienvenue sur ce 75ème article du « Journal d’une agoraphobe ».

Cet article de blog est basé sur l'interview de Cyrielle Richard, psychologue spécialisée en neuropsychologie et TCC, exerçant au Québec
Un parcours professionnel transfrontalier
Cyrielle Richard incarne parfaitement la mobilité professionnelle des psychologues francophones. Diplômée en France en 2009 avec un Master 2 professionnel, elle exerce aujourd'hui au Québec après avoir suivi un processus d'équivalence complexe mais enrichissant auprès de l'Ordre des psychologues du Québec.
Son parcours littéraire témoigne de son engagement dans la transmission : quatre ouvrages publiés, dont le dernier "Déficience intellectuelle : de la compréhension à la prise en charge" (Deboeck Supérieur, août 2025), et des recherches sur les enjeux de révélation des troubles de santé mentale au travail.
L'équivalence obligatoire : un passage nécessaire
Les psychologues français titulaires d'un Master 2 doivent automatiquement entamer une démarche d'équivalence auprès de l'Ordre des psychologues du Québec pour exercer au Québec.
Cette équivalence comprend un bloc relatif à l’'éthique et déontologie obligatoire pour tous parce qu’il y a un point crucial : contrairement à la France où le code de déontologie a une "valeur symbolique", au Québec, il a force de loi. Les sanctions peuvent aller du retrait d'autorisation d'exercice aux poursuites civiles ou pénales.
Un système fédéral complexe
L'exercice de la psychologie au Canada relève de chaque province. Un psychologue membre de l'Ordre du Québec ne peut pas exercer en Ontario sans nouvelle démarche d'équivalence. Cette règle s'applique même à la téléconsultation : suivre des patients d'une autre province nécessite d'être membre de l'ordre correspondant.
Formation : deux philosophies distinctes
En France : spécialisation précoce mais limitée
Formation en 5 ans (Master 2)
Approche souvent mono-théorique (beaucoup de facultés restent "très psychanalytiques")
Stages limités (200h, 300h, puis 500h selon l'université)
Peu d'accent sur la méthodologie scientifique
Accompagnement minimal pour trouver les stages
Au Québec : ouverture et rigueur scientifique
Formation doctorale obligatoire depuis 2006
Présentation équilibrée de toutes les approches dès les premières années (psychodynamique, TCC, humaniste)
Choix de spécialisation seulement au doctorat
1600 heures de stage minimum avec supervision universitaire structurée
Formation approfondie en méthodologies de recherche et statistiques
Système de bourses pour les stages hospitaliers
Une reconnaissance professionnelle élargie
Nouveauté 2025 : Les psychologues québécois peuvent désormais établir et renouveler des arrêts maladie. Cette avancée illustre une différence fondamentale de statut.
Diagnostic et reconnaissance
Au Québec, les psychologues sont habilités à poser des diagnostics officiels, contrairement à la France où ils ne peuvent qu'évoquer des "signes évocateurs" et renvoyer vers un médecin.
Cette reconnaissance s'inscrit dans une logique systémique : face à la pénurie médicale, le Québec valorise l'expertise des autres professionnels (psychologues, infirmiers en pratique avancée) plutôt que de laisser les patients sans solution.
Coordination des soins : théorie et pratique
La coordination entre professionnels existe au Québec mais reste conditionnée au consentement éclairé du patient. Chaque échange d'informations nécessite une décharge signée précisant exactement quelles informations peuvent être partagées et avec qui (médecin, assureur, employeur).
Perception sociale et tabous
La culture nord-américaine d'assurance favorise l'accès aux soins psychologiques. Les forfaits dédiés démocratisent la consultation, mais des disparités persistent entre secteur public et privé. Les tabous varient selon les troubles, l'environnement social et les régions.
Conclusion : deux modèles, deux philosophies
Cette comparaison révèle deux approches distinctes de la formation et de l'exercice psychologique. Le modèle québécois privilégie l'ouverture théorique, la rigueur scientifique et la reconnaissance professionnelle élargie. Le modèle français, plus traditionnel, commence à évoluer mais reste marqué par des cloisonnements historiques.
Pour les psychologues français tentés par l'aventure québécoise, le parcours d'équivalence représente certes un investissement conséquent, mais aussi une opportunité d'enrichissement professionnel dans un système valorisant davantage leur expertise.
Cyrielle Richard exerce en libéral dans une clinique spécialisée en troubles anxieux. Son prochain ouvrage "Déficience intellectuelle : de la compréhension à la prise en charge" paraîtra le 22 août 2025 chez Deboeck Supérieur.
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